Ce vendredi 28 juin 2002, la Ligue des droits de l’Homme a introduit un recours devant la Cour d’Arbitrage visant l’annulation des articles 151 et 152 de la loi programme du 30 décembre 2001, publiée au Moniteur belge du 31 décembre 2001.
Ces dispositions punissent d’une peine d’emprisonnement de 1 à 4 ans « quiconque donne ou tente de donner dans le Royaume, via l’infrastructure des télécommunications, des communications portant atteinte au respect des lois, à la sécurité de l’État, à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ou constituant une offense à l’égard d’un État étranger ».
La Ligue des droits de l’Homme estime en effet que ces dispositions sont de nature à porter gravement atteinte à notre liberté d’expression et au secret de nos communications, et créent en outre une insécurité juridique inacceptable dans le domaine pénal. Envisagées dans un contexte plus large, ces dispositions participent de la criminalisation, sans cesse croissante, des mouvements sociaux.
La lecture de ces nouvelles dispositions laisse apparaître que les comportements susceptibles d’être poursuivis et sanctionnés sont définis de manière extrêmement large, notamment par l’incrimination générale de toute « atteinte au respect des lois » ou de « l’offense à un Etat étranger ». De nombreux actes peuvent tomber sous le coup de ces incriminations. Un pamphlet sur la récente décision de la Cour suprême chilienne interdisant toute poursuite à l’encontre d’Augusto Pinochet pourrait valoir des poursuites à qui en assure la diffusion sur Internet, si le pamphlet est jugé offensant pour le Chili. Un syndicaliste qui, par e-mail, encouragerait ses collègues à restreindre l’accès au lieu de travail dans le cadre d’un mouvement gréviste, pourrait être poursuivi pour avoir appelé à ne pas respecter les lois. Ces deux militants pourraient ainsi se voir punir d’une peine de prison ferme.
En réponse à une question parlementaire, le Ministre Charles Picqué a indiqué, le 25 avril dernier, que ces nouvelles dispositions étaient nécessaires pour lutter contre la prolifération de réseaux qu’ils soient terroristes ou pédophiles. Ce souci, légitime mais pour lequel différents textes ont déjà été adoptés, ne se retrouve pas dans l’énoncé des articles 151 et 152 de la loi programme. Le texte excède largement les motifs qui, aujourd’hui, sont censés le justifier.
Ces dispositions doivent par ailleurs être lues en parallèle avec les articles du Code d’instruction criminelle relatifs aux écoutes téléphoniques et à la recherche proactive, et avec le projet de loi relatif aux méthodes particulières d’enquête. Par le jeu du seuil pénal, ces différentes techniques d’enquête, particulièrement attentatoires aux libertés individuelles, vont pouvoir être mises en œuvre dans l’application des nouvelles dispositions introduites par la loi programme du 30 décembre 2001. Nous sommes dès lors confrontés à une technique législative, particulièrement insidieuse mais malheureusement de plus en plus fréquente, qui consiste à modifier un article d’une loi particulière, relié à un autre texte qui se retrouve lui aussi modifié. Peu à peu, par ce type de législation en cascade, les mailles du filet répressif rêvé par certains de nos gouvernants se mettent en place. Ainsi, c’est un véritable étau pénal qui se resserre tant et plus sur notre vie quotidienne, laissant peu de place à l’effectivité de nos libertés fondamentales ; a fortiori, si, comme c’est le cas en l’espèce, les dispositions en question incriminent également la tentative de communication.
Les articles 151 et 152 de la loi programme visés dans le recours en annulation introduit devant la Cour d’arbitrage créent une discrimination entre deux catégories de justiciables qui diffusent un même message, selon qu’ils ont fait usage ou non de l’infrastructure des télécommunications. Ainsi, si nous reprenons nos deux exemples précédents, tant le militant des droits humains choqué par l’impunité de criminels contre l’humanité, que le syndicaliste soucieux de la survie de son entreprise, pourront, par exemple, être mis sur écoute et faire l’objet d’un mandat d’arrêt s’ils ont utilisé une infrastructure de télécommunications pour sensibiliser leurs semblables, alors que ces mêmes personnes ne pourraient être poursuivies si elles se contentent de diffuser leur message par un courrier postal ou tout simplement oralement !
Il appartient à présent à la Cour d’arbitrage de se prononcer sur le bien fondé de ce recours. A travers cette décision, la Cour se prononcera également sur les conditions d’effectivité de nos libertés fondamentales, effectivité mise en péril par les articles 151 et 152 de la loi programme, effectivité, enfin, pour laquelle la Ligue n’a de cesse de lutter. Nous espérons dès lors un arrêt qui réaffirme avec force l’importance :
du principe d’égalité entre les citoyens, qui appelle un traitement égal pour des situations similaires ;
de la sécurité juridique, qui appelle la rédaction de textes de loi clairs et précis ;
du principe de proportionnalité pénale entre les objectifs poursuivis et les moyens mis en oeuvre, qui commande que l’on restreigne les actes attentatoires aux libertés individuelles aux formes graves de criminalité.