Dès lundi, Belgacom devrait lancer un test avec les autorités judiciaires pour valider une technologie d’écoute des communications sur l’internet. En cas de succès, elle sera étendue à l’ensemble des opérateurs actifs en Belgique. Bien qu’un cadre légal très strict s’applique à ces procédures d’écoute, les spécialistes de la protection de la vie privée s’inquiètent.
Juriste spécialisé et directeur du Centre de recherches en informatique et droit de Namur, le professeur Yves Poulet répond à nos questions.
La loi prévoit la possibilité de procéder à des écoutes téléphoniques de même que le stockage de données. Qu’en est-il dans la pratique en Belgique ?
La saisie des communications ou éléctroniques en temps réel a fait l’objet d’un arrêté royal en 2003. Mais il n’existe pas encore d’arrêté d’application pour le stockage de données par les prestataires de services de communication.
A-t’on prévu des gardes-fous pour éviter les dérives ?
Rien ne peut se faire sans une ordonnance motivée, délivrée par un juge d’instruction et uniquement en cas d’infractions graves. Il n’y en avait qu’une dizaine au départ. Mais, au fil des révisions, leur nombre est passé à plus de trente. La commission de la vie privée a noté cette inflation, qui va souvent au-delà du concept d’infraction grave.
Pourra-t-on utiliser ces écoutes pour épingler des internautes qui échangent sur le Net de la musique ou des films ?
La copie illicite n’est pas reprise en tant que telle dans la liste des infractions. Mais il n’est pas impossible qu’en cherchant à mettre en évidence une infraction au droit d’auteur, on ne trouve d’autres biais pour y parvenir.
Les autorités judiciaires insistent sur l’aspect très ciblé de ces "écoutes éléctroniques".
Je n’en suis pas convaincu. Ainsi, la loi indique que ces écoutes peuvent concerner "des lieux présumés fréquentés" par la personne visée. On pourrait mettre sur écoute un cybercafé ou un immeuble, voire tout un quartier, puisque l’on y trouverait des ordinateurs susceptibles d’être utilisés par cette personne. Le champ d’application peut devenir exagérément large.
Avec un risque pour le secret médical ou le secret bancaire ?
C’est une évidence. Pensons aux échanges d’informations entre un médecin et son patient. Et le fait que les communications éléctroniques entre une banque et son client soient cryptées n’est pas un obstacle en soi : la loi prévoit que, même pour des tiers impliqués dans une communication éléctronique, il y a une obligation légale à collaborer. et les textes précisent que les prestataires de services devront fournir des données "en clair".
Il y a donc un danger potentiel d’écoutes arbitraires ou disproportionnées par rapport aux objectifs de l’enquête ?
Je regrette qu’en Belgique on ne dispose pas d’un mécanisme qui existe en Grande-Bretagne et qui permet à l’opérateur de mettre en doute la motivation d’une écoute demandée par le juge d’instruction. Un recours peut alors être introduit devant une juridiction indépendante.
Il y a une différence importante entre une écoute téléphonique, très ciblée et une "écoute éléctronique" au sein du grand brouhaha de l’internet...
Il est clair qu’en interceptant du traffic de données, on trouve souvent beaucoup plus que ce que l’on cherchait au départ. Ces données excédentaires devraient être détruites, mais c’est peut-être un voeu pieu...
La société de l’information fait voler en éclats le respect de la vie privée. c’est irréversible ?
La tendance actuelle est de recourir systématiquement aux technologies pour faire la preuve d’une infraction, et c’est souvent très intrusif. J’ai entendu des propositions visant à mettre sous écoutes des quartiers entiers considéréscomme dangereux !Il est urgent de rendre au citoyen un droit à l’anonymat.